mercredi 21 mai 2014

Les viols d’hommes : ce serait pire ? Vraiment ?

Créatrice et administratrice du tumblr “Je connais un violeur”, j’ai lu et modéré plus de 1000 témoignages de victimes anonymes. Elles se sont confiées dans l’anonymat d’internet, seules face à leur écran, sans avoir ne serait-ce qu'un regard posé sur elles. Certaines racontaient leur vécu pour la toute première fois.

Je voudrais apporter des éléments de réponse à des propos que j’ai lus et entendus à plusieurs reprises à propos des victimes hommes. “Le tabou des tabous”, “invisible donc plus difficile à surmonter”.. J'ai lu un article extrêmement dérangeant sur les cas d'hommes adultes violés par des femmes et qui souffriraient plus que les victimes féminines, car eux, ne sont pas pris en considération. Après avoir tanné, excusez l'expression, la rédactrice de cet article sur twitter, l'article a été entièrement corrigé. Je ne peux plus rien lui reprocher, mais il n'en reste pas moins que l'idée est répandue, même si elle est fausse et profondément dérangeante.

Les hommes victimes se taisent, car le viol d’hommes est un sujet tabou. Le viol des femmes aussi. Ce n'est pas une composante de la "nature féminine" avec laquelle il faudrait composer. Certes le nombre de victimes féminines, enfants ou adultes, est scandaleusement élevé et la menace d’être violée plane sur nous, avec des formules comme “appel au viol”. Le fait d’être une femme nous place d’emblée dans une position de victime potentielle. Certes les viols de femmes et de filles par des hommes inondent nos écrans et les blagues salaces sur ce thème sont légion. Il n’en reste pas moins que pour une femme, être victime de viol est un traumatisme qui entraîne de lourdes séquelles. Subir un viol, pour une femme, n’est pas l’un des désagrément causés par sa féminité, aussi prévisible et ancré dans notre quotidien que des règles douloureuses ou un soutien-gorge qui gratte. C’est à chaque fois un crime et un scandale.

Or les viols subis par des hommes adultes seraient plus tabou, plus difficiles à déclarer, voire plus douloureux que ceux subis par les femmes. Pour un homme, être violé, ce serait pire.

Avant l’âge de 15 ans, les victimes de viol, par inceste dans la plupart des cas, comptent autant de filles que de garçons. Après, certains hommes sont violés par d’autres hommes, ils représentent 10% des victimes à l’âge adultes. Quand aux hommes adultes violés par des femmes, ils représentent une infime minorité. Sur un millier de témoignages, j’ai lu un seul cas d’homme qui avait été “chevauché” par une femme alors qu’il était inconscient. Je ne m’avancerai pas sur un chiffre ou une statistique, mais gardons en tête que nous parlons de cas ultra-minoritaires. Cela ne signifie pas que le sujet ne soit pas digne d’intérêt, et les victimes méritent évidemment de l’empathie.

Les hommes victimes de viol rencontrent l’incrédulité, apprend-t-on, cette incrédulité étant bien sûr liée à la rareté du phénomène. On peut avancer une explication plutôt évidente : la grande majorité des femmes ont intégré un rôle passif dans leur sexualité. On dit que l’homme prend la femme et que la femme se fait sauter. Cette distribution des rôles parfaitement inégalitaire fait qu’une femme qui agresse un homme, qui lui fait subir des attouchements ou actes sexuels par surprise ou contrainte, est une femme qui transgresse un immense tabou, sans commune mesure avec des gestes abusifs largement tolérés de la part d’un homme.
La violence des femmes est interdite et taboue elle aussi. Un homme en colère est un homme qui a de la personnalité. Une femme en colère est une folle hystérique. Même si les sports de combat comptent de plus en plus de femmes parmi leurs amateurs/trices, on inscrira plus spontanément une petite fille à un cours de danse classique pendant que son frère fera du judo. Cette incrédulité liée à la violence, et en particulier la violence sexuelle d’une femme contre un homme vient de ce que les femmes sont sensées être délicates et passives. Elles n’ont pas d’autre choix que d’intégrer cette norme sociale, et en effet la grande majorité des crimes contre les personnes sont commis par des hommes.
Les hommes victimes de viol ne sont pas crus, on peut en expliquer les raisons. Qu’en est-il des victimes féminines? Elles doivent se justifier, on se méfie d’elles et on met systématiquement leur parole en doute. Une petite fille victime de son père sera dénigrée par le reste de la famille. Une adolescente victime de ses camarades de lycées aura voulu “se rendre intéressante et attirer l’attention sur elle”. Ivre morte et violée par un groupe d’inconnus en boîte de nuit, ce sera “une salope qui l’a cherché”. Coincé sous le poids de son agresseur, alors qu’elle criait “non” et qu’elle pleurait, elle était “venue pour ça”.

Aux hommes violés, on dit “tu as aimé ça”. Et en effet, dans l’immense majorité des cas, les hommes aiment ça. D’ailleurs, le cliché selon lequel les hommes en ont “tout le temps envie”, et auraient une libido plus forte que les femmes (ce qui est faux), sert bien souvent à justifier les viols de victimes féminines réputées “irrésistibles” qui auraient eu le malheur de susciter des “pulsions incontrôlables”.
Les femmes victimes de viol s’entendent dire qu’elles l’ont mérité avec leur “look de pute”. On leur demande si elles ont “mouillé”, éventuellement de la part de policiers sensés recevoir leur plainte. Dans ce même contexte, une victime d’une quinzaine d’années a rapporté à une écoutante du CFCV les propos suivants : “en fait c’est juste d‘avoir été sodomisée qui vous dérange”. Cette jeune fille serait donc “coincée”.
Parmi toutes les victimes de viol qui m’ont fait part de leur expérience, dans mon cercle amical, militant ou par l’intermédiaire du tumblr “Je connais un violeur”, aucune n’a été écoutée et prise en considération sans subir de réactions déplacées voire cruelles. Une deuxième, troisième agression de la part de leurs parents, de leurs amies, d’un policier ou d’un médecin.

Nos écrans sont inondés de scènes de viol où la femme “finit par aimer ça”. Nous avons toutes entendu des remarques comme “elle est trop moche, espérons qu'elle se fasse violer”. Nous avons toutes subi des regards hostiles, des attouchements, des menaces de viol ou des blagues humiliantes auxquelles nous devions rire sous peine d’être taxées de “coincées”. Cette haine des femmes qui fait que le viol est un sujet de gaudriole, nous la supportons, et nous en souffrons. Et que dire des femmes violées qui doivent elles aussi rire en choeur à un bon “le viol, c’est lol”? Elles restent silencieuses, elles repensent à ce qui les a meurtri et qui amuse des hommes dont elles n’ont aucun moyen de savoir s’ils sont innocents ou non.
Elles ont honte, elles se haïssent d’avoir été salies et de n’avoir pas su se défendre. Elles se taisent, et si elles en parlent, elles s’exposent à des “t’étais épilée au moins?” (véridique). Elles supporteront toute leur vie une société qui leur martèle que “le viol, c’est lol”. Et elles sont nombreuses.

Messieurs, vous qui avez été violés par une femme, je ne nie pas votre souffrance et “Je connais un violeur” vous reconnaît autant que les autres. Mais vous restez des hommes, vous ne vivez pas dans un monde qui vous rappelle à chaque instant que vous êtes une proie à baiser, un morceau de “viande à viol”. Vous n’entendez pas de plaisanteries ou remarques soit-disant anodines qui vous rappelleront régulièrement que le monde dans lequel vous vivez est complice de l’horreur que vous avez vécu. Votre expérience est invisible, c’est ce que vous regrettez : vous ne la recevrez pas en pleine face à un dîner de famille ou dans une discussion entre amis.
Je vous souhaite sincèrement de surmonter cette épreuve. Mais je continuerai de me battre pour les femmes et les filles, les victimes désignées, toutes celles qui “auraient pu faire un effort”, qui ne sont "pas normales car elles devraient aimer ça", et à qui on a confisqué, dès la petite enfance, les moyens de se mettre en colère et de se battre.
























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